Bio

Je me souviens de ce jour d’octobre 1984, où, petite fille, je tombe en arrêt devant La Rencontre de Courbet, au Musée Fabre de Montpellier. Cette fameuse scène entre le peintre et son mécène, avec ma terre natale pour toile de fond, marque aussi ma rencontre avec la peinture. Je suis fascinée par ce Monsieur Courbet, voyageur plein d’assurance et de détermination, invincible, prêt à conquérir le monde. A compter de cette « Rencontre », je n’aurai de cesse d’observer attentivement toutes les œuvres que je croise, de les examiner dans leur moindre détail, de les reproduire pour mieux les analyser. Je me transporte ainsi dans l’univers de l’autre, me confronte à un regard différent pour aiguiser le mien, sors de moi pour mieux y revenir.

Ce Monsieur Courbet me semble d’autant plus invincible qu’une succession de maladies graves s’abattent alors sur plusieurs de mes proches. Autant de chocs émotionnels qui me conduisent à représenter de façon compulsive des séries d’animaux aux squelettes évidés et des chemins tortueux qui tombent irrémédiablement à pic. En m’autorisant à extérioriser ma douleur, ces dessins chargés d’angoisse m’ont assurément sauvée. Et cet élan vital ne me quittera plus !

Autre pulsion, tout aussi salvatrice, cette incroyable soif d’ailleurs qui m’a toujours tenaillée. En novembre 2000, me voici enfin prête à partir, pour deux ans, à la rencontre d’autres cultures et d’artistes locaux, à la découverte de paysages inconnus, disposée à perdre mes repères pour mieux me trouver. L’Amérique du Sud prend une tournure studieuse, mes carnets se remplissant bien vite de portraits réalistes de cholas boliviennes, de reproductions de motifs anthropomorphiques de la civilisation chimú, de croquis anatomiques pris sur le vif… A mon arrivée en Asie, je laisse surgir la matière brute de mes émotions face à ce continent déroutant. Sans réfléchir, je noircis désormais des pages de regards intenses, parfois menaçants, de foules bigarrées, de stûpas népalais, de pagodes chinoises, de bonnets ouïgours…

De retour à Paris, la peinture fait définitivement partie intégrante de ma vie ! Dès lors, jour après jour, mes joies, mes peines, mes souffrances ou mes colères jaillissent sur mes toiles. Je choisis de faire de mon atelier, en y accueillant des élèves, un lieu d’échanges ouvert sur de nouvelles rencontres, des univers différents, un espace de liberté où faire sauter les prisons intérieures et laisser s’exprimer les audaces réfrénées. Ce va-et-vient incessant entre l’Autre et moi-même, entre l’extérieur et l’intime, est devenu mon voyage quotidien.

Delphine du Mérac

L’émotion est une couleur

Delphine du Mérac conçoit la peinture comme un échange d’émotions : entre le peintre et le modèle, entre la toile et le spectateur. Car lorsque l’émotion envahit tout, la peinture est la seule issue possible. L’émotion, c’est d’abord celle qui naît de la découverte de l’autre, à travers les voyages. En Amérique du Sud, Delphine du Mérac a laissé son regard s’émouvoir devant les êtres humains, leur univers, leurs différences.

Avec sa palette, étendue, et son regard, inattendu, Delphine du Mérac nous entraîne dans un univers très personnel, où les êtres vivants, humains ou animaux, tiennent le premier rôle et envahissent la toile. Leurs émotions deviennent les nôtres, la couleur se faisant conducteur de chaleur.

Caroline Gibert, iconographe